REPRESENTATIONS DE LA MORT DANS LES SURSITAIRES D’ELIAS CANETTI : Connaître son « instant fatal » : source d’apaisement ou d’angoisse ?

« Satisfaits ! Satisfaits ! ». Le mot répété comme une litanie par « le chœur des inégaux » dans Les Sursitaires (Die Befristeten, 1952), troisième et dernière pièce de théâtre de l’écrivain bulgare d’origine juive et d’expression allemande Elias Canetti (1905-1994), dévoile le sentiment général des membres d’une société régie par une « Sainte Loi » qui prédétermine et communique à chaque individu l’instant précis de sa mort. Le « prologue sur l’ancien temps », époque où personne ne connaissait son « instant fatal », apprend au lecteur/spectateur que la mort à une heure incertaine est vue par les personnages de ce drame (contre-)utopique comme un cauchemar. Comme l’explique le Capsulant, « l’inspecteur des morts » qui connaît « l’instant » de chaque individu, affiché à l’intérieur d’une capsule que ce dernier doit porter autour du cou sa vie durant, et qui est le seul à être autorisé à l’ouvrir après son décès, les gens comprennent qu’un certain nombre d’années assurées vaut mieux qu’un capital de vie indéterminé et non assuré. La sécurité et l’existence de la société repose sur le respect de chacun pour son « instant », qui, ainsi que son âge, ne doit pas être révélé. De même, il est interdit de vivre sans capsule, ce qui fait de l’auteur de ce crime un « assassin », selon le glissement de sens du mot. Toutefois, le protagoniste Cinquante, alter ego de Canetti et, comme lui, un véritable « ennemi de la mort », met en doute la véracité de la « Sainte Loi » et découvre qu’elle est mensongère. Cette découverte, en légitimant la révolte de ceux qui ne sont pas satisfaits de ladite loi et qui trouvent en Cinquante leur représentant, entraîne la chute du système aux traits totalitaires.

Cet article se propose d’analyser la représentation de la mort dans Les Sursitaires mettant en avant les points de contact entre l’histoire fictionnelle et l’histoire réelle, ainsi que le contraste entre la place du deuil dans l’œuvre dramatique et dans l’œuvre théorique et autobiographique d’Elias Canetti. Il se divise en quatre parties : dans la première, nous étudions la « maîtrise », ainsi que l’institutionnalisation et l’instrumentalisation de la mort dans la pièce ; dans la deuxième, nous examinons la place du deuil dans le drame ; dans la troisième, nous analysons les inégalités provoquées par le régime et dans la quatrième, nous nous concentrons sur des malentendus qui se succèdent à la chute du système.

De l’interdiction à la « maîtrise » de la mort.

L’institutionnalisation et l’instrumentalisation du trépas

« La brièveté de la vie nous rend mauvais. Il faudrait à présent s’assurer qu’une vie plus longue nous rendrait moins mauvais. » (Elias Canetti, Le Territoire de l’homme)

 

Je ne comprends pas que l’être humain ne se préoccupe pas davantage du secret de la durée de sa vie. Tout fatalisme, en fait, se concentre en cette seule question : la durée vitale de l’homme est-elle prédéterminée ou résulte-t-elle seulement du déroulement de sa vie ? L’homme naît-il doué d’une certaine quantité de vie, mettons 60 ans, ou bien cette quantité est-elle indéterminée, de sorte que ce même homme, après une jeunesse identique, peut toujours atteindre 70 ans ou mourir à 40[1] ?

L’extrait ci-dessus évoque l’une des principales raisons qui ont inspiré l’écriture des Sursitaires : l’intérêt et la curiosité d’Elias Canetti pour le « secret » de la durée de la vie humaine[2]. Dans la dernière de ses œuvres dramatiques peu nombreuses, mais autrement riches, écrite après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la bombe atomique et la Shoah et considérée par l’auteur comme « un manuel de la mort », cette question, déjà évoquée dans le titre original[3] de la pièce, Die Befristeten, qui se traduit comme « ceux qui ont un délai fixé », apparaît dès la première scène. Le prologue – qui suggère que l’intrigue du drame, placé dans un cadre spatio-temporel indéterminé, doit avoir lieu dans l’avenir – nous apprend que dans « l’ancien temps » l’instant fatal de chaque personne n’était pas connu, mais heureusement ce temps d’incertitudes, un temps de « sauvages » et de « brutes[4] » est révolu, comme le montre le dialogue entre l’Un et l’Autre :

L’UN. – Il faut dire : nous avons fait quelques pas, depuis.

L’AUTRE. – Quelques pas ? On ne put même pas parler d’hommes, avant.

L’UN. – Et pourtant, les gens peignaient, écrivaient et faisaient de la musique. Il y avait […] des grands esprits.

L’AUTRE. – C’est ridicule. Le dernier savetier de chez nous est plus philosophe, car il sait ce qui va lui arriver. Il peut répartir à sa guise le temps qu’il a à vivre. Il peut sans angoisse faire des projets, assuré qu’il est de la durée de son existence. […]

L’UN. – Je considère la révélation de l’instant comme le plus grand progrès dans l’histoire de l’humanité[5].

          Poussant à l’extrême l’institutionnalisation de la mort, motif que l’on peut observer déjà dans Comédie des vanités (Komödie der Eitelkeit, 1934), où le gouvernement, afin d’en finir avec le péché de la vanité, stipule que les auteurs des moindres infractions aux lois sont passibles d’être punis avec la peine de mort, Les Sursitaires nous présente un univers où la mort, au-delà d’être « interdite », semble représenter une « affaire » déjà réglée, maîtrisée. Dans cette société où les gens sont apparemment satisfaits de connaitre leurs « instants » de mort, il ne faut pourtant en parler. Chaque personne a pour nom le nombre d’années qu’elle a à vivre et elle ne doit pas, ainsi, révéler son âge à qui que ce soit[6], vu que cette révélation permettrait aux autres de découvrir l’heure de sa mort. Le mot « âge » devient donc un tabou, car il ne faut pas (re)plonger la population dans un état d’inquiétude, ce qui représenterait un pas en arrière dans l’évolution de cette société, où l’idée de progrès semble être liée à un contrôle ou bien à une maîtrise par le gouvernement de toutes les questions qui affligent la population, même celle de la mort. À ce propos, la « Sainte Loi » nous fait penser à la volonté humaine d’avoir un contrôle sur le destin ou, comme les suicidés, sur le terme de la vie.

          Or, le secret qui entoure l’âge des individus et leurs « instants », ainsi que cette « maitrise » de la mort, devenue un problème du passé, nous renvoie également à l’interdiction de la mort, ainsi que de la vieillesse, de la maladie et du deuil dans le monde occidental contemporain[7]. C’est comme si cette maitrise en représentait le dernier stade ou la dernière étape d’un processus qui, caractérisé dans les siècles précédents par des transformations assez lentes, connaît un changement radical de l’attitude de l’homme devant la mort. Si entre le XVIe et le XVIIIe siècles, la mort devient « une rupture[8] » et qu’à partir du XVIIIe siècle l’homme occidental tend à lui donner un sens nouveau, «  en l’exaltant, la dramatisant, la voulant impressionnante et accaparante[9] », vers la fin du XIXe et notamment dans la première moitié du XXe siècle, comme le note Philippe Ariès :

[D]epuis environ un tiers de siècle, nous assistons à une révolution brutale des idées et des sentiments traditionnels […]. C’est un phénomène […] absolument inouï. La mort, si présente autrefois, tant elle était familière, va s’effacer et disparaître. Elle devient honteuse et objet d’interdit[10].

Comme l’explique Ariès, la mort devient progressivement sale, inconvenante, même indécente, et dans les zones les plus techniquement avancées du monde occidental apparait un type nouveau du mourir caractérisé par un grand refus ou par une expulsion de la mort de la société :  

Rien n’avertit plus dans la ville que quelque chose s’est passé : l’ancien corbillard noir et argent est devenu une banale limousine grise, insoupçonnable dans le flot de circulation. La société ne fait plus de pause : la disparition d’un individu n’affecte plus sa continuité.  Tout se passe dans la ville comme si personne ne mourait plus[11].

Cette « crise de la mort » est également discutée par Edgar Morin :

La science ouvre la conscience sur des abîmes qui s’ouvrent les uns sur les autres […] … Les civilisations sont mortelles. L’humanité est promise à la mort. […] Tout renvoie donc l’individu solitaire à une solitude de plus en plus misérable au creux d’un néant sans limite.

[…]

L’individualité se désagrège à son tour. La mort achève la nihilisation. Absurde le monde, absurde la mort, absurde l’individu. (…) Tout est absurde. Le cercle de mort se referme[12].

Faisant objet d’une interdiction, la mort doit être exclue, bannie ou cachée de l’espace public. Bien qu’elle demeure omniprésente dans l’esprit et dans la vie privée des sursitaires, et que dans le drame, comme dans le monde réel, elle provoque encore des sentiments d’inquiétude – par exemple, chez l’enfant Soixante-dix, qui ne sait pas combien de temps il lui reste avec sa mère Trente-deux -, elle doit être chassée de la vie quotidienne. La mère de Soixante-dix n’est pas censée révéler son âge même à son fils, à qui elle promet simplement qu’il recevra encore plus d’une centaine de bises de sa maman[13]. On meurt, ainsi, isolé, l’« instant public » –  le spectacle de la mort en public, devant tout le peuple – n’est évoqué par le Capsulant que sous forme d’une menace de punition faite à Cinquante, ce qui nous permet de déduire que la mort en isolement constitue la norme, et la mort publique, une exception. À cet égard, il est intéressant de noter que dans le drame le gouvernement cache la vérité à la population – ce qui constitue l’un des instruments de domination mis en place par les régimes totalitaires – de la même façon que dans notre société occidentale contemporaine l’entourage du mourant commence à cacher la vérité à ce dernier avec le début de la médicalisation qui transfère la mort de la maison à l’hôpital[14].

On assiste ainsi, dans le drame comme dans le monde réel, à une tentative d’évacuation du sens et de la charge dramatique de la mort. Voir la mort, ainsi qu’en être ému, devient inconvenant ; la mort doit désormais, d’une part, être cachée et isolée, d’autre part, ne pas provoquer des émotions fortes ou bien ne pas perturber la tranquillité des sursitaires satisfaits de connaître leurs « instants ».  La population accepte avec résignation de mourir à une heure prédéterminée par la loi et semble véritablement heureuse de connaître son instant de mort, ce qui permet à chacun de mieux planifier sa vie en fonction du nombre d’années dont il/elle dispose et semble attester que le « quota » de vie que chacun reçoit est assuré – autrement dit, qu’on ne va pas trouver la mort avant son « instant » – et qu’on a enfin un contrôlé sur la fatalité. De la mort banalisée des premiers drames d’Elias Canetti, on passe ainsi, dans Les Sursitaires, à la mort (apparemment) « maitrisée », qui, bien qu’elle ne soit réellement désirée, semble une mort heureuse, sans angoisse, tranquille, grâce à la connaissance de l’instant fatal. Nous serions tentés de dire que cette mort partage tout de même certains trais avec la « mort apprivoisée » identifiée par Ariès dans la période qui s’étend du VIe au XIIIe siècles, une mort qui ne surprend pas le mourant qui, la sentant venir, l’accepte comme une nécessité du destin. Bien que les sursitaires ne sentent pas leurs instants venir, et qu’ils ne partagent pas la même familiarité festive avec la mort que les hommes du passé, ils connaissent (ou bien pensent connaître) la date de leur disparition, qui n’est pas, ainsi, subite, et ils acceptent cette mort programmée par une loi qu’ils considèrent comme sacrée[15] – même si, comme nous le verrons, le sentiment général des membres de la population à ce sujet ne fait pas unanimité.

Néanmoins, comme nous le verrons, cette « maîtrise » de la mort n’est qu’une utopie, et ce système idéal régi par la « Sainte Loi[16] » présente de graves problèmes, dont le principal constitue la cible de la critique canettienne : l’instrumentalisation de la mort. En effet, l’ensemble de l’œuvre d’Elias Canetti, comme nous le constatons à travers la lecture de Masse et puissance, par exemple, n’a pour but que condamner cette instrumentalisation qui dans Les Sursitaires semble atteindre son apogée. La résignation malsaine à la mort programmée n’est pas acceptée par Cinquante, qui ne peut pas partager l’avis de ceux qui associent la connaissance de « l’instant » au progrès – ici nous serions tentés de dire que cette résignation collective à la mort programmée et cette acceptation passive de la population aux sentences de mort stipulées par le gouvernement se rapproche de l’idée du suicide, qui – il va de soi – est condamnée par Canetti. En plus, l’action du gouvernement pour gérer le « problème » de la mort n’est pas étique et semble dévoiler une pathologie sociale, vu que personne ne devrait avoir le droit, comme le pensent à tort certains hommes de pouvoir, de jouer à être Dieu et de décider du terme de la vie d’autrui, et qu’elle se heurte au droit de chacun de vivre « autant de temps qu’il veut », comme le défend Cinquante, l’alter ego de l’écrivain[17].

 

Pas de place pour le deuil ?

 

CINQUANTE. – […] Vous avez perdu votre enfant ?

            JEUNE FEMME. – Oui.

[…]

            CINQUANTE. – Et vous n’êtes pas désespérée ?

            JEUNE FEMME. – Non. Pas du tout.

            CINQUANTE. – Comment cela ?

            JEUNE FEMME. – Je savais quand il mourrait. Je l’ai toujours su.

[…]

CINQUANTE. – Vous auriez aimé pouvoir quelque chose contre ?

JEUNE FEMME. – On n’y peut rien.

CINQUANTE. – Vous avez essayé ?

JEUNE FEMME. – Non. Personne ne fait ça.

[…]

CINQUANTE. – Mais si vous l’aviez sauvé ? […]

JEUNE FEMME, épouvantée. – C’est du vol ! C’est un crime !

CINQUANTE. – Pourquoi c’est un crime ?

JEUNE FEMME. – C’est un sacrilège[18].

 

L’extrait susmentionné des Sursitaires, un dialogue entre Cinquante et une mère à l’enterrement de son enfant, nous permet d’identifier un phénomène que nous pourrions nommer une « interdiction du deuil ». Ce n’est pas seulement le mourant qui doit se cacher pour rendre son dernier souffle, ce n’est pas seulement l’instant fatal de chacun qu’il faut passer sous silence et qui doit rester inaperçu, invisible aux yeux de la société, le souvenir de la mort et du mort, ainsi que le chagrin provoqué par sa perte, doivent également disparaître. La mère de l’enfant n’ose pas regretter la mort de son fils, vu que, connaissant déjà son instant, elle était résignée à l’idée de son décès prématuré. Même exprimer la tristesse d’avoir perdu un être qui lui était aussi cher semble aux yeux de la mère un crime, un acte que l’on peut lui reprocher. Ici il vaut la peine de souligner que la base des régimes totalitaires est constituée par l’atomisation sociale qui pulvérise les liens unissant les individus, qui deviennent ainsi indifférents au sort des autres membres de la collectivité. Cette fragmentation des liens interpersonnels et du corps social, l’isolement des individus et l’absence de relations sociales, est obtenue à travers l’instauration d’un régime policier qui exerce une surveillance perpétuelle dans toutes les sphères de la vie de l’individu, même celle de sa pensée, cherchant à promouvoir l’uniformisation de l’opinion et à imposer à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la société. Dans ce sens, nous pouvons comprendre cette destruction de la liberté qui interdit le deuil et l’expression des émotions comme une stratégie de domination mise en place par le gouvernement, qui vise justement à empêcher que chaque individu se soucie de la mort de l’autre, ce qui pourrait mettre en danger le maintien du système[19].  À ce propos, nous pourrions identifier encore d’autres stratégies de domination mises en place dans le drame par le gouvernement, comme l’abolition de la vérité fondée sur la propagation de fausses nouvelles et la production du réel, et la négation de la nature, stimulée, entre autres, par la destruction de pulsion de vie, qui semble absente chez ceux qui, résignés à l’idée de mourir à l’instant fixé par la loi, montrent un état d’apathie et de perte de l’élan vital[20].

            Cette « interdiction » du deuil dans le dernier drame canettien, qui semble mettre en scène une société plus évoluée que la nôtre, nous renvoie à la place du deuil dans la société occidentale actuelle, où il semble, ainsi que le trépas, faire l’objet d’une interdiction – à la suite d’une mort isolée, à l’hôpital, les cérémonies d’adieu ne mettent plus en place les mêmes rituels qu’auparavant. Comme l’explique Philippe Ariès,

[L]a société moderne a privé l’homme de sa mort et […] elle ne la lui rend que s’il ne s’en sert plus pour troubler les vivants.

[…]

Aujourd’hui, à la nécessité millénaire du deuil, plus ou moins spontanée ou imposée selon les époques, a succédé au milieu du XXsiècle son interdiction. […] Il ne convient plus d’afficher sa peine ni même d’avoir l’air d’en éprouver[21].

 

            Alors que dans le drame canettien le deuil est quasiment évacué, dans l’œuvre théorique et autobiographique de l’auteur, composée de trois volumes de mémoires et de plusieurs tomes de réflexions -, il occupe une place privilégiée. En effet, à contrecourant de son époque, Canetti consacre sa vie entière à une véritable écriture de la mort et du deuil, le deuil de « ses morts », c’est-â-dire, de tous les disparus qui lui étaient chers et qui il tient à maintenir en vie en les gardant éternellement dans sa mémoire. Dans ses écrits Canetti accorde un rôle capital au poète, qui a selon lui une tâche extrêmement importante :

La mort est le fait premier et le plus ancien, […] le fait unique. […] Elle est le superlatif très réel de tout […]. Aussi longtemps qu’il y aura la mort, tout dit sera un contredit, contre elle […]. Aussi longtemps qu’il y aura la mort, aucune beauté ne sera belle, aucune bonté ne sera bonne.

Les essais de s’en accommoder […] ont échoué. La constatation qu’il n’y a rien après la mort […] a conféré à la vie un sacre nouveau et désespéré. Le poète, qui peut, par la force de ce que nous avons appelé assez sommairement son vice, participer à des vies nombreuses, participe aussi à toutes les morts dont ces vies sont menacées. Sa propre peur […] doit devenir peur de la mort de tous. Sa propre haine […] doit devenir haine de la mort de tous. C’est cela, et rien d’autre, sa contradiction au temps, qui est rempli de myriades et de myriades de morts[22].

Canetti considère le poète comme un « gardien des métamorphoses[23] » à travers lesquelles il essaie de redonner la vie aux disparus en les immortalisant par l’écriture[24]. Il serait gardien non seulement des métamorphoses présentes dans l’héritage littéraire de l’humanité, qu’il doit chercher à s’assimiler, conserver et transmettre, mais également de celles qu’il doit pratiquer lui-même[25] en maintenant ouverts « les accès entre les êtres » et en pouvant « devenir n’importe qui, le plus infime, le plus naïf, le plus impuissant même[26] ». En « accueillant » tous ces personnages dans lesquels le poète se métamorphose, il deviendrait, selon Canetti, un combattant de la mort :

Il y a là […] la puissance des personnages qui le tiennent occupé, qui ne lâchent pas l’espace qu’ils ont pu investir en lui. Ils réagissent à travers lui, comme s’il était constitué par eux. Ils sont sa majorité, articulée et consciente ; ils sont, dans la mesure où ils vivent en lui, sa résistance contre la mort. […]

La vie multiforme qui passe en lui […] lui donne la force de s’opposer à la mort. […]

Cela ne saurait être l’affaire du poète, de livrer l’humanité à la mort. […] Même si ceci apparaît à tout le monde comme une entreprise vaine, il cherchera à l’ébranler ; et jamais […] il ne capitulera. Ce sera son orgueil, de résister aux messages du néant, qui deviennent toujours plus nombreux dans la littérature ; et de les combattre avec d’autres moyens que les leurs[27].

Ce « devoir de mémoire » trouve un écho dans les récits de ceux qui ont survécu la plus grande des atrocités du lourd XXe siècle, la Shoah. « Dans un camp, l’une des raisons de survivre, c’est qu’on peut devenir un témoin[28]. » L’éclairage que nous propose Giorgio Agamben sur les prisonniers des camps de concentration de la Shoah, semble ajouter une nouvelle dimension ou « fonction » au deuil, lorsqu’on fait le deuil des victimes d’une telle atrocité. Les rescapés, qui ont survécu les déplorables expériences et tortures qui leur ont été infligées dans ces centres de mise à mort en masse, permettent à d’autres, à travers leur témoignage, d’apprendre en détail ce qui s’est passé et de faire, comme eux, le deuil des personnes assassinées. Ils prêtent une voix à ceux qui n’ont plus de voix et essaient de représenter l’irreprésentable. Cette tentative d’« élargissement » du deuil à d’autres personnes qui n’ont pas forcément connu les morts, a un propos spécifique : raconter, remémorer, rendre l’individualité à chaque personne disparue avant son temps – préoccupation partagé par Canetti, pour qui il ne faut pas « compter les morts » -, et empêcher que cette terrible expérience se répète.

Le silence qui cache les inégalités

« Tant qu’il y aura la mort, la soumission n’est pas possible. » (Elias Canetti, Le Livre contre la mort)

 

Derrière l’apparente harmonie de la société gouvernée par la « Sainte Loi », qui semble avoir réussi à « maîtriser » le « problème » de la mort, se cache, néanmoins, la révolte silencieuse de ceux qui ne sont pas satisfaits du régime, dont l’existence révèle qu’il n’y a pas de consensus dans l’acceptation et la résignation devant la mort chez les membres de cette société aux traits totalitaires. La discrétion de ceux qui ne sont pas contents de la « Sainte Loi », mais qui n’osent pas désobéir, donne une fausse impression d’harmonie sociale – ne pas voir ou ne pas parler des problèmes fait penser qu’ils n’existent pas. Pourtant, même avant l’action de Cinquante, qui, en démasquant les mensonges de la loi, ouvre le chemin aux dissidents qui trouvent le soutien et le courage pour s’exprimer, nous pouvons observer leur mécontentement. Par exemple, dans le dialogue de l’Homme et de la Femme, où cette dernière (qui s’appelle Quarante-trois) révèle son mépris pour les « Quatre-vingt-huitards », qu’elle trouve prétentieux, sans cœur et sans compassion ; dans celui de Cinquante et du garçon Dix, qui se croit autorisé à tout faire du fait qu’il devra mourir bientôt[29] ; dans celui du Premier et du Second, où le Premier regrette ne pouvoir jamais mener à bien ses projets du fait d’avoir trop peu de temps de vie[30] ; et dans celui des deux jeunes dames, où la Seconde se vante d’avoir plus de temps que son amie[31]. L’exemple peut-être le plus frappant se trouve dans le dialogue des jeunes messieurs, où le Second, jaloux du Premier, exalte le caractère arbitraire et inégal du régime :

SECOND. – […] Tu étais un Dieu ! Rien qu’à cause de ce maudit nom. Pourquoi faut-il que tu t’appelles Quatre-vingt-huit et moi Vingt-huit ? Es-tu meilleur que moi, es-tu plus intelligent et plus travailleur ? Non, au contraire : tu es plus bête, plus mauvais et plus paresseux. Mais c’était toujours : Quatre-vingt-huit par-ci, Quatre-vingt-huit par-là[32] !

Tous ne sont pas satisfaits de la « Sainte Loi », et la découverte de Cinquante a, entre autres, le mérite de mettre à nu se que le système essaie de cacher : les différences (d’opinion) entre les membres de la population.

La durée de vie, devenant un capital, favorise la création d’une hiérarchie dans laquelle les plus riches de vie se sentent souvent supérieurs à ceux qui vont mourir plus tôt. Le capital de vie représente néanmoins une monnaie non échangeable, ce qui rend la situation encore plus injuste. La peur de désobéir à la loi fait pourtant que la révolte de ceux qui n’acceptent pas les termes de la loi reste cachée, refoulée. Bien que, comme nous l’avons constaté, nombreux soient ceux qui n’approuvent pas la distribution arbitraire des « quotas » de vie, le silence à propos des sujets tabou imposé par les autorités dissout toute tentative de révolution. Ce n’est qu’avec la découverte de Cinquante que les opposants trouvent la force et le soutien dont ils ont besoin pour exprimer plus ouvertement leur pensée. Ici nous pouvons identifier la question de la manipulation des masses et de l’obéissance aveugle aux ordres, l’un des thèmes principaux que Canetti explore dans Masse et puissance.

« Et tous ceux qui sont partis trop tôt[33] ? » Dans la question posée par Cinquante au Capsulant, on entend la voix de Canetti. L’auteur, « l’ennemi perpétuel de la mort » comme le définit Marion Dufresne, ne se conforme pas à l’inégalité de la mort, ce qui constitue l’aspect majeur du « problème » de la mort pour lui. Pour l’écrivain, d’origine juive, toute mort est précoce, toute personne disparue semble s’être éteinte avant son temps. Canetti se dresse contre toute mort, toute mort représente pour lui un « assassinat juridique », et Cinquante, son alter ego dans le drame, révolté de l’inégalité du système, interroge le Capsulant à propos de la loi, puisque la détermination de la durée des quotas de vie distribués aux différents membres de la population est complétement arbitraire. Cinquante défend l’idée selon laquelle chacun devrait vivre autant de temps qu’il veut – ici on peut bien entendre la critique de Canetti à la mort infligée – et sa quête de la vérité permet de légitimer le discours des opposants du système dont la voix restait étouffée par les mensonges du discours officiel.

Le comportement méprisable des sursitaires qui sont plus riches de temps renvoie également à un autre élément central de l’anthropologie canettienne discuté dans ses écrits théoriques, le plaisir de la survie. Ceux qui se vantent d’avoir plus de temps de vie que les autres ressemblent, par cet aspect, à la figure du survivant, qui, selon Canetti, éprouve une satisfaction à voir que c’est l’autre, et pas lui, qui est mort. Bien que l’auteur ne se dise pas exempt de ce sentiment[34], il le condamne, et, comme nous l’avons vu, tels les rescapés de la Shoah qui éprouvent un sentiment de culpabilité d’avoir survécu tandis que d’autres ont péri et croient souvent n’avoir survécu que pour raconter leurs expériences, Canetti met également en valeur l’importance de la préservation et la transmission de la mémoire et de l’histoire des disparus[35].

 

« On ne meurt plus » : la chute du système donnant suite aux malentendus

 

« L’immortalité est la seule chose qui ne supporte pas d’ajournement. »  (Karl Kraus, Dits et contredits)

SECOND. Que s’est-il passé ?

PREMIER. Une foule innombrable […], tout d’un coup un homme […] hurle : « Finies les capsules ! […] » […] Un autre bondit et s’écrie : « On ne meurt plus maintenant ! Maintenant, on vit, aussi longtemps qu’on veut ! Liberté ! Liberté ! »       

[…]

SECOND. Chacun, à présent, décidera seul combien de temps il vivra ?

PREMIER. Il n’y aura pas grand-chose à décider. Chacun vivra éternellement[36]

 

Le dialogue entre les deux collègues à la fin des Sursitaires met en relief le danger représenté par ce syllogisme trompeur, qui mène à une fausse interprétation de la réalité. Vu que, comme le montre Cinquante, l’intérieur des capsules est vide et ne contient aucune date de mort, on déduit que l’absence de la date de « l’instant » fatal signifie que l’instant fatal n’existe plus. Or, la découverte de Cinquante provoque la chute du système, et l’abolition de ses lois. Néanmoins, ce qui est aboli, c’est la prédétermination de l’instant de la mort, et non pas la mort elle-même. Autrement dit, la sentence de mort qui pesait sur la tête – ou bien autour du cou – de chaque membre de la population, censé mourir à un instant précis déterminé par l’État, n’existe plus, mais la mort demeure, souveraine. La seule différence, c’est que, comme dans « l’ancien temps », l’instant fatal devient de nouveau inconnu.

Cette réaction d’une partie de la population, outre renforcer le fait que l’acceptation du régime n’´était pas unanime, semble mettre en relief que la peur et l’horreur de la mort[37] existent encore, et que ces sentiments, du moins chez les opposants du régime, n’a pas changé avec l’interdiction de la mort, et sont restés seulement refoulés.

Cinquante regrette son comportement, vu qu’il remet le peuple dans un état d’angoisse, comme le montre son dialogue avec le Capsulant :

CINQUANTE. – J’ai tellement honte. Mais c’est de mon aveuglement que j’ai le plus honte. […] Vous auriez dû m’anéantir immédiatement.

 

 Dans cette perspective, la chute du système peut ressembler à un pas en arrière dans « l’évolution » de la société des sursitaires, vu qu’elle entraîne le rétablissement de l’ancienne ère d’incertitudes. Pourtant, le fait que Cinquante ait des supporteurs, ainsi que les mots du Premier collègue, par exemple, nous montrent que la mort est loin d’être souhaité ou désirée : « Tout le monde en a assez de la mort. (…) Les gens ont repris conscience de leur droit à la vie[38] ».

Ainsi, bien que Cinquante regrette ce qu’il a fait en raison des conséquences de sa découverte, qui remet le peuple en souffrance face à la conscience d’être de nouveau confronté à la perspective de la mort à un instant inconnu, il joue un rôle capital dans le drame dans la mesure où il aide à mettre à nu les faiblesses d’un régime basé sur un mensonge qui essaie d’étouffer le discours de ses opposants au profit de son maintien.

La « maîtrise » de la mort, le pouvoir et le contrôle sur sa vie, ainsi que sur sa mort que chaque membre de cette société croit avoir du seul fait de connaitre son instant fatal, n’est qu’une fausse apparence, car on ne le connait pas. De même, l’idée que tout membre de la population serait content de connaître son « instant » est fausse. Afin de montrer les effets négatifs sur l’homme de la connaissance de son « instant » fatal et le danger qui représenterait une société où tout individu connait l’heure de sa mot, Canetti nous présente dans Les Sursitaires un drame qui, en même temps qu’il renvoie à l’interdiction de la mort dans le monde occidental contemporain, met également l’accent sur la valeur de la vie. Nous pouvons identifier dans la croyance de certains à ce syllogisme trompeur évoqué plus haut leur foi dans l’utopie de l’immortalité chérie par l’auteur du drame ou bien son désir caché de rester en vie. Chaque voix qui se lève et s’oppose aux dictés de la « Sainte Loi » et au système de « quotas » de vie géré par le Capsulant fait écho au discours d’Elias Canetti contre le trépas. La lutte de Cinquante pour que chaque personne puisse avoir le droit de vivre autant de temps qu’elle veut n’est autre que la lutte de l’auteur juif contre le meurtre et la peine capitale, contre la mort programmée, à l’heure prédéterminée, contre la détermination enfin d’un terme à la vie, qui est aussi la lutte de son peuple – malgré le fait que Canetti rejette la dimension politique de son œuvre, ainsi que les étiquettes et toute tentative de systématisation de sa pensée. Nous pourrions ainsi considérer Les Sursitaires, pièce que Canetti lui-même considère comme centrale pour son œuvre toute entière[39], comme un riche échantillon d’analyse qui en dit beaucoup non seulement sur les enjeux de la mort dans notre société, et sur les dangers qu’y sont liés, mais aussi sur sa pensée et sur sa lutte contre la mort et contre son instrumentalisation.

 

« Quand je dis que je veux combattre la mort, ça sonne drôle, en tout cas incompréhensible. Est-ce que cela signifie que je veux échapper à la mort ou m’en cacher, d’une manière ou d’une autre ? C’est le contraire. Ce que j’essaie, c’est de lui faire face, je ne me cache pas de la mort. Je veux toujours savoir exactement où elle se trouve, où elle me menace et surtout où elle menace les autres. Je souhaite protéger ceux que je connais, qui sont proches de moi (…). Donc, c’est juste le contraire de la censure. (…). C’est une tentative de ne jamais occulter la mort et de ne jamais se cacher d’elle, de toujours la regarder dans les yeux[40]. »

Nous avons vu, à travers notre analyse de la représentation de la mort dans la pièce Les Sursitaires, que le dernier drame canettien entretient des rapports avec « l’interdiction » de la mort et du deuil dans le monde occidental contemporain. Dans un premier temps, nous avons analysé la « maîtrise » de la mort proposée par la « Sainte Loi » ; dans un deuxième temps, nous avons évoqué la place du deuil dans l’intrigue ; ensuite, nous avons examiné les inégalités du régime et la révolte refoulée de ceux qui ne sont pas satisfaits de leurs capitaux de vie, et finalement, nous avons étudié le danger représenté par le syllogisme trompeur de ceux qui veulent croire, après la découverte de Cinquante, que la mort a été abolie. En même temps, nous avons essayé de montrer les liens étroits qui existent entre Les Sursitaires (ainsi qu’entre les deux premières pièces canettiennes et son roman) et son œuvre en prose.

            Au contraire des sursitaires qui obéissent aveuglement aux dictés de la loi et acceptent avec résignation l’idée de mourir à un instant prédéterminé, Canetti fait de sa vie un combat solitaire contre le trépas, dans lequel il ne capitule jamais, décidé de ne pas se cacher de sa pire ennemie. Si l’abolition de la mort et la conquête de l’immortalité restent une utopie, Canetti veut néanmoins alerter sur le danger représenté par l’instrumentalisation du trépas – dans Les Sursitaires, à travers une tentative de « maîtrise » du phénomène létal qui, dans un premier temps apparemment efficace dans son but d’apaiser la population, se montre fausse et criminelle, et ainsi, condamnable. En outre, le régime basé sur un mensonge et, ainsi, voué à l’échec, s’effondre, ce qui provoque encore plus de dégâts, car la population retombe dans l’état d’angoisse et d’inquiétude des temps anciens et se voit encore plus déstabilisée qu’avant. L’anthropologie de Canetti est assez claire sur l’avilissement de l’homme provoqué par la mort :

Je pense que parmi tous les phénomènes, l’effet de la mort est le plus terrible, celui qui cause le plus de dégâts à l’homme, celui qui le défigure davantage ; parce que ce n’est pas seulement que nous devons mourir – cela, nous le savons, puisque nous ne pouvons pas vraiment abolir la mort – pourtant il arrive que des gens se livrent à la mort, acceptent trop facilement et trop vite que cela doit être ainsi, ils se laissent corrompre très vite par la mort et croient que, puisque la mort est dans le monde parce que nous ne pouvons pas l’éviter, au moins nous pouvons l’utiliser, nous pouvons l’instrumentaliser. Les personnes qui aspirent à détenir le pouvoir ont tendance à employer les autres à leurs fins, à les envoyer en guerre pour accroître leur propre pouvoir, cela se produit, on peut le voir depuis le début de l’histoire, et chez nous, cela s’est intensifié d’une façon vraiment catastrophique, qui a conduit le monde au bord de la ruine. C’est, pour ainsi dire, le grand effet flagrant de la mort : l’utilisation de la mort par les puissants. Mais la même chose se produit dans la vie ordinaire : nous comptons sur la mort, nous considérons naturel d’hériter des biens des autres, par exemple ; beaucoup de gens attendent la mort d’un autre pour hériter, ils comptent donc toujours sur la mort[41].

 

Notice bibliographique

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[1] Canetti, Elias, Théâtre, (Dramen), traduit de l’allemand par François Rey et Heinz Schwarzinger, Paris, Albin Michel, 1986, page de garde.

[2] L’autre raison était la disparition de quelqu’un qui lui était très proche. L’intérêt que Canetti portait à la durée de la vie humaine, question qui est de nos jours à la base de certaines recherches scientifiques, à notre avis ne fait que souligner le caractère précurseur de la pensée de l’auteur.

[3] Cette idée est également évoquée, par exemple, dans le titre de la version brésilienne du texte, « Os que têm à hora marcada » (que nous pourrions traduire comme « ceux qui ont l’heure fixée »), ainsi que dans le titre de la version anglaise du drame, The Numbered (« Les numérotés »). Néanmoins, elle semble se perdre um peu dans la traduction française du titre, Les Sursitaires (que nous traduisons comme « ceux qui ont obtenu un sursis »).

[4] Canetti, Elias, op. cit., p. 241.

[5] Id.

[6] Autrement dit, un individu peut révéler son nom, qui indique l’âge de sa mort, mais pas l’âge qu’il a, ce qui permettrait aux autres de découvrir l’instant de sa mort.

[7] En ce qui concerne le vieillissement du corps et la maladie, il est intéressant de noter comment cette interdiction s’observe dans le monde virtuel des réseaux sociaux, où l’on se soucie généralement de ne pas montrer ses faiblesses et de publier des photos de soi sur lesquelles l’on paraît toujours jeune, en forme et actif.

[8] Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Seuil, 1977, pp.46-47.

[9] Ibid., p. 46.

[10] Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, p. 61. Voir également Ibid., p. 212 : « La mort a reculé et elle a quitté la maison pour l’hôpital. ; elle est absente du monde familier de chaque jour. L’homme d’aujourd’hui, faute de la voir assez souvent et de prés, l’a oubliée : elle est devenue sauvage […]. » Voir aussi Blondelot, Xavier, Une société sans mort, Paris, Champ social, 2020.

[11] Ariès, Philippe, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 562.

[12] Morin, Edgar, L’homme et la mort, Paris, Seuil, 2002, pp. 339-340.

[13] Canetti, Elias, op. cit., pp. 243-245.

[14] Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, p. 61.

[15] Il est intéresssant de noter que la loi des sursitaires semble avoir à leurs yeux quelque chose de divin, d’une instance supérieure.

[16] Nom suggestif qui donne l’impression que la loi est inviolable – comme l’affirme le Capsulant à Cinquante, la loi est « sacrée ».

[17] À propos de l’opposition résignation à la mort versus lutte pour la vie, voir Levi, Primo, Si c’est un homme, Paris, Laffont, 2002.

[18] Canetti, Elias, op. cit., pp. 272-274.

[19] Voir Arendt, Hannah, Les origines du totalitarisme : Eichmann à Jérusalem, Paris, Galimard, 2002 ; Gill, Louis, « L’atomisation sociale : condition de la domination totale », in Spirale, No. 176, janvier-février 2001, p. 16 ; Tassin, Étienne, « Hannah Arendt et la spécificité du totalitarisme », in Revue Française d’Histoire des Idées Politiques N. 6. Dictature et totalitarisme : Colloque des 15 et 16 mai 1997 à la Fondation Singer-Polignac (2e semestre de 1997), Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 367-388.

[20] et Onfray, Michel, Théorie de la dictature, Paris, Robert Laffont, 2019.

[21] Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, pp. 176-180.

[22] Id., La Conscience des mots (Das Gewissen der Worte), traduit de l’allemand par Roger Lewinter, Paris, Albin Michel, 1984.

  1. 22.

[23] Ibid., pp. 319-331.

[24] La responsabilité du poète de (re)transmettre les histoires représente pour Canetti une sorte de résistance par la littérature contre la mort, une victoire métaphorique contre la mort à travers l’écriture qui témoigne de l’immortalisation du sujet écrivain, ainsi que de celle de ses personnages, éternisés dans son œuvre.

[25] Voir Ibid., p. 326 : « Dans un monde (…) qui accroît inconsidérément les moyens de son autodestruction (…) ; il paraît essentiel que quelques-uns continuent, malgré tout, à exercer ce don de la métamorphose.

Voilà qui serait, à mon sens, la tâche proprement dite des poètes. »

[26] Id. À ce propos, voir Ibid., pp. 326-327 : « Par la métamorphose seulement (…) on parviendrait réellement à sentir ce qu’un être est derrière ses mots ; on ne pourrait saisir autrement la consistance réelle de ce qu’il y a là de vivant. »

[27] Ibid., pp. 329-331.

[28] Agamben, Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz. L’Archive et le témoin. Homo sacer III, traduit de l’italien par Pierre Alferri, Paris, Payot et Rivages, 1999, p. 15.

[29] À cause de son nom, qui détermine qu’il mourra á l’âge de Dix ans. Voir Canetti, Elias, Théâtre, pp. 263-266.

[30] Voir Ibid., pp. 266-270.

[31] Voir Ibid., pp. 277-280.

[32] Ibid., p. 310

[33] Ibid., p. 305.

[34] Il avoue l’avoir déjà éprouvé.

[35] À ce propos, voir Id., Le Livre contre la mort, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Paris, Albin Michel, 2018, p. 122 : « Raconter, raconter, jusqu’à ce que personne ne meure plus. Mille et une nuits, un million et une nuits. »

[36] Id., Théâtre, pp.312-313. Cette réplique ressemble à une variation d’une remarque que fait Canetti à propos du « Journal du Dr. Hachiya » sur la satisfaction du peuple Japonais de la revanche contre leurs ennemis de guerre. Voir Id., La Conscience des mots, p. 258 : « Il est probable que, tant que dure l’exaltation, beaucoup imaginent que, désormais, il ne leur faudrait plus mourir. »

[37] À propos de de la peur de la mort, qui commence entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, voir Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort em Occident, pp. 112-114.

[38] Id., Théâtre, p. 313.

[39] Voir Ibid., quatrième de couverture.

[40] Canetti, Elias, « Extractos de conversaciones con Peter Laemmle (1994) », in Id., Arrebatos verbales dramas, ensayos, discursos y conversaciones, Barcelona, Debolsillo, 2013, pp. 861862 (Ma traduction).

[41] Ibid., pp. 860-861.

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