L’ÉCRITURE DE LA SURVIVANCE CHEZ HERVÉ GUIBERT

Né à Paris en 1955, Hervé Guibert est décédé en 1991 après un combat contre la maladie du sida. L’épreuve de la déségrégation du corps suite à l’incubation du virus et de la mort inéluctable est affrontée par l’écriture de la trilogie composée de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (Guibert, 1990), Le protocole compassionnel (Guibert, 1991) et Cytomégalovirus : journal d’une hospitalisation (Guibert, 1992). Auteur dont la graphomanie réaffirme son talent littéraire, Guibert est célèbre aussi dans le monde journalistique, cinématographique et artistique. Outre ses articles dans Le Monde et L’Autre journal, il est le co-auteur du scénario du film L’Homme blessé[1] (Chéreau et Guibert 1983) et réalisateur du film retraçant sa maladie La pudeur ou l’impudeur[2]. Il est également l’auteur de plusieurs chansons interprétées par la chanteuse québécoise Carole Laure. Les différentes activités artistiques et littéraires nous livre l’image d’un écrivain-artiste qui montre une prédilection à la mise en scène de son corps conçu comme objet esthétique. Par ailleurs la notoriété de l’auteur, réaffirmée par la parution de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, n’exempte pas les critiques de certains lecteurs qui pointent du doigt un excès de voyeurisme, un goût affiché du scandale et un dévoilement incoercible de son intimité par l’évocation des scènes pornographiques et morbides. Néanmoins, nous pouvons considérer l’écriture subversive de Guibert comme un signe avant-coureur de la littérature de l’extrême contemporain qui a fait de l’émancipation du corps une thématique à revendication queer comme dans les écrits de Mathieu Riboulet (Riboulet, 2008) ou ceux de Nina Bouraoui (Bouraoui, 2021).    

S’il y a une thématique omniprésente dans les œuvres autobiographiques d’Hervé Guibert, c’est celle du corps : « Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. » (Guibert 1977, 183-184) De l’écriture de la jouissance sexuelle frôlant la pornographie qui se répand dans les récits relatant l’expérience homosexuelle de cet auteur, à celle de la maladie amorcée par le premier roman du cycle du sida, le rapport que Guibert entretient avec son corps est foncièrement influencé par la découverte de sa séropositivité. Bien que le lien entre érotisme, corps et mort soit abordé dans le premier recueil de l’auteur, la découverte de sa séropositivité est appréhendée comme une écriture intime de l’indicible de la maladie et de la mort. Si le premier volet de ses œuvres célèbre les jouissances du corps comme dans Le fou de Vincent (Guibert, 1989), un roman qui retrace la passion de l’auteur avec un éphèbe Vincent, la deuxième partie montre comment la maladie conditionne l’appréhension de ce corps désormais rongé par le sida et voué à la disparition imminente. Ainsi l’ensemble des œuvres autobiographiques de l’auteur pourrait être appréhendée dans une logique de cause à effet dans la mesure où le sida n’est que la conséquence irrévocable de la vie tumultueuse et des relations homosexuelles de l’auteur. Par ailleurs À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie constitue un aveu de la séropositivité et une forme de conjuration de la mort fatum. Ce récit devient dès lors une œuvre charnière qui marque le revirement de la prose guibertienne dans l’écriture de la maladie achevée par le suicide de l’auteur. Il en découle une appréhension ambiguë du corps à la fois objet de jouissance et rappel de la disparition, ce qui nous invite à se questionner sur le rapport entre l’écriture et la mort chez cet auteur. L’écriture revêt-elle une fonction purgative qui cherche à apprivoiser la mort ou se limite-t-elle à une simple narration détachée d’une expérience de la maladie ? Faut-il appréhender cette esthétisation de la mort dans la continuité de la fascination que cette thématique exerce, dès la publication de La mort propagande, sur l’auteur même avant sa séropositivité ou, au contraire, comme la seule conjuration possible face à la maladie et à la mort ?

Pour répondre à ces questions, nous allons nous intéresser dans un premier volet aux stratégies scripturales et narratives déployées par l’auteur afin d’apprivoiser la mort. Nous allons nous intéresser, en deuxième lieu, à l’analogie plus ou moins implicite que l’auteur effectue entre l’univers médical et l’univers concentrationnaire qui, se dépouille de sa fonction résiliente et devient un ultime rappel de la mort. Il en découle une étude du rapport entre l’écriture et la survivance dans la troisième partie de notre analyse.

I- Apprivoiser la mort

1- Érotisme thanatique

Dans Les Larmes d’Éros, Georges Bataille souligne le rapport entre l’érotisme et la mort. Il écrit : « C’est […] du fait que nous sommes humains, et que nous vivons dans la sombre perspective de la mort, que nous connaissons la violence exaspérée, la violence désespérée de l’érotisme » (Bataille 1978, 62) Ingénieuse à alimenter plusieurs paradoxes, l’écriture chez Hervé Guibert cherche à fixer le moment du court-circuitage pathémique qui donne lieu à un dérèglement des émotions. Il semble que le lien entre l’érotisme et la mort corrobore, sous la plume de cet auteur, à transmuer l’écriture en une expérience intime de l’indicible érotico-thanatique. Dans ce sens, l’expérience érotique est une pratique de l’extrême sensuel et subversif comme disparition qui s’apparente à une métaphore de la mort. 

Ce rapport complexe entre éros et thanatos est vécu à même le corps dès la publication du premier récit de la trilogie du sida, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et se laisse percevoir à travers l’opposition perçue par le lecteur entre la beauté angélique de l’auteur et la mise en scène de la dégénérescence du corps malade et souffrant que le public découvre suite à son apparition à l’émission Apostrophes[3] et à la diffusion de son film documentaire La Pudeur ou l’impudeur. Comme le souligne René De Ceccatty à propos de l’auteur : « Le contraste entre sa beauté et sa maladie qu’il révélait fut le déclencheur d’un grand retentissement médiatique. » (De Ceccatty 2012, 18) Par ailleurs, il serait réducteur de cantonner le lien entre calvaire corporel et écriture dans la poétique guibertienne. Si l’expérience de la maladie constituait pour les romantiques une source d’inspiration, la dégénérescence et la mutilation du corps deviennent dans la littérature postmoderne et celle de l’extrême contemporain l’emblème d’une production littéraire et artistique qui fait de l’éphémère et du difforme sa marque de fabrique et une revendication des nouveaux canons esthétiques. La prose d’Hervé Guibert s’inscrit dans cette même perspective et elle s’alimente de l’opposition comme principal moteur d’un sentiment perplexe d’horreur et de fascination que l’on retrouve dans la beauté du style de l’auteur et la suavité de son écriture, mais qui s’évertue à détailler des scènes obscènes, à choisir des thématiques subversives à forte teneur pornographique et à vouloir profaner un corps en faisant de lui l’objet de toutes les expérimentations sexuelles et médicales. Loin de limiter ses récits à une narration intimidante de l’expérience de sa maladie, Hervé Guibert nous livre une écriture limite qui ne dissocie pas l’expérience thanatique de sa dimension érotique comme le montrent les scènes des ébats avec Jules suite à la découverte de leur séropositivité :

Cette ébauche de baise me semblait sur l’heure d’une tristesse intolérable, j’avais l’impression que Jules et moi étions égarés entre nos vies et notre mort, et […] que nous faisions le point, par cet enchaînement physique, sur le tableau macabre de deux squelettes sodomites. […] Jules me fit jouir en me regardant dans les yeux. […] Je bloquai mon sanglot dans ma gorge en le faisant passer pour un soupir de détente. (Guibert 1990, 156)

Le récit de Guibert procède par répétition et déclinaison des scènes érotiques qui s’apparentent à une ritualisation du macabre de la maladie[4]. Par ailleurs, l’écriture n’est pas dénudée de sa fonction jouissive partagée avec le lecteur. C’est à travers la tension entre quête avortée d’euphorie érotique et angoisse tragique de la mort que nous pouvons trouver des échos dans l’analyse de Georges Bataille et les travaux des auteurs comme Pierre Klossowski et Maurice Blanchot. Le déchainement des émotions contradictoires qui se situent au-delà des limites cherchent à atteindre le sublime qui, au-delà de la définition rhétorique, désigne l’abolition des frontières entre les émotions contradictoires. La confusion des sentiments se nourrit de l’opposition entre l’effusion d’un augmentum érotique comme première source de vie et la mélancolie thanatique qui s’ouvre devant le narrateur désormais atteint du sida. L’écriture dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie est une répétition compulsive des scènes érotiques, qui sont un perpétuel rappel de la première cause de la maladie, afin de s’affranchir de la mort et avoir une certaine souveraineté sur elle. Maurice Blanchot écrit à ce propos : « [L’] on ne peut que si l’on reste maître de soi devant la mort, si l’on a établi avec elle des rapports de souveraineté. » (Blanchot 1988, 110) Il en résulte une absence totale du ressentiment ou de repentir comme le révèle la scène du curé italien séropositif fasciné par le corps du jeune Poète nu à travers laquelle Guibert semble faire un pied de nez à tout discours moralisateur : « [Il] était ébloui, à la fois mortifié et réchauffé par son éblouissement, prêt à se prosterner […] et il prononça cette phrase : ‘’Le diable n’existe pas, c’est une pure invention des hommes’’. » (Guibert 1990, 141) Par ailleurs, la souveraineté devant la mort qui sert de contrepoint à un ressentiment moral n’exclue pas la présence implicite du registre religieux par le recours à la passion christique pour dépeindre l’agonie de Muzil, personnage qui renvoie à Michel Foucault avec lequel Hervé Guibert entretenait une relation d’amitié.

2- L’agonie de Foucault

Le rapport tragique inhérent à la mort et celui du plaisir érotique nous permet de faire une transposition entre le sentiment de douleur et du plaisir chez le lecteur. Comme l’a souligné Nietzsche dans La Naissance de la tragédie (Nietzsche 1872), la tension dionysiaque associe le sacrificiel à la souveraineté que l’on retrouve dans les travaux de Bataille. La jouissance de l’écriture-lecture est aussi une transposition du plaisir érotique comme le rappelle Barthes dans Le Plaisir du texte (Barthes 1973). Par ailleurs, un autre parallélisme entre les analyses de Bataille et le texte guibertien nous permet de montrer comment la figuration de ce rapport s’effectue à travers le recours à des images qui, se référer aux travaux de Didi-Huberman (Didi-Huberman 2002), alimentent un pathos archaïque refoulé chez l’auteur-narrateur. La scène de l’agonie forme un lieu d’interférence entre l’image archaïque refoulée de la mère de l’auteur, qui a voulu avorter du bébé et du père violent et autoritaire qui exerçait dans un abattoir. L’auteur a intériorisé, pendant son enfance, la scène de la mort des bêtes exécutées qui sont une projection de sa propre souffrance et de son rapport avec la mort. Guibert rapporte dans Le Mausolée des amants (Guibert 2001) les circonstances de sa naissance :

C’est mon père qui l’avait forcée à cet enfantement, […] et pendant ces neuf mois, son désir hystérique était de m’expulser, [Ma mère] se faisait tomber dans des escaliers pour me perdre. Lorsque enfant on m’a extrait de son ventre, elle suppliait : ‘’Pourvu qu’il soit mort. Pourvu qu’il soit mort-né !’’. (Guibert 2001, 79)

 La survivance de ces scènes de naissance qui s’ouvre sur l’abîme de la mort explique le recours, dans Le Protocole compassionnel, à l’ekphrasis évoquant la toile de Turner et à la comparaison avec une bête égorgée qui fuit vainement la mort dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Ces évocations renvoient implicitement à la peinture rupestre de Lascaux représentant le chaman-chasseur renversé par une bison blessé dans un double transport extatique de jouissance sexuelle et de mort :   

Tuner a peint ‘’La mort sur un cheval pâle’’, je repensais cette nuit à cette image, elle me revenait très précisément dans son galop, dans sa folie, j’étais moi-même ce corps renversé sur sa monture, […] un abattoir de viande projeté en avant par le mouvement, et qui déséquilibre l’image. Le spectre, sur sa nudité de squelette, par un diadème. (Guibert 1991, 176)

J’avais hâté de sortir de là, je ne tenais sans doute pas sur mes jambes mais j’avais envie de courir, de courir comme jamais, à l’abattoir chevalin la bête qu’on vient de saigner au cou, sanglée sous le flanc, continue de galoper, dans le vide. (Guibert 1990, 55)

À travers le titre fort énigmatique de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert dresse un processus d’identification hétéropathique complexe (Laplanche et Pontalis 2007, 188) Un lecteur plus ou moins averti est en mesure de se poser la question sur l’identité de la personne, cet ‘’ami’’ désigné par le titre. S’agit-il de Bill, l’Américain imposteur qui travaille dans un groupe pharmaceutique et qui a menti au narrateur en prétendant développer un médicament contre le sida, du narrateur lui-même qui n’as pas réconforté Muzil agonisant à son chevet de mort et qui a dévoilé la cause de son décès, du lecteur qui partage, en lisant, cette expérience sans pouvoir consoler le narrateur malade, ou encore le livre qui serait une veine tentative de la survie par l’écriture ? L’expérience autobiographique avec le sida et la mort est perçue à travers l’écriture imbriquée de la biographie de Muzil. Les affres de la maladie et de la mort de celui-ci ressuscitent chez le narrateur une image refoulée de la mort accentuée par la découverte de sa propre séropositivité. En effet, dès les premières pages du récit, le narrateur évoque la maladie de son ami :

Muzil, ignorant la teneur de ce qui le rongeait, l’avait dit sur son lit d’hôpital, avant que les savants le découvrent : ‘’C’est un machin qui doit nous venir de l’Afrique.’’ Le sida, qui a transité par le sang des singes verts, est une maladie de sorciers, d’envoûteurs. (Guibert 1990, 6)

Aussi, la découverte de la maladie de Muzil s’apparente à une substitution de l’aura de l’intellectuel par celle de la figure christique. Le raisonnement philosophique cède la place à la superstition et à la peur de la maladie et de la mort chez un philosophe d’obédience nietzschéenne qui a fait du combat intellectuel et des prises de positions courageuses sa première raison d’être. C’est ce qui pourrait expliquer le choix de ce pseudonyme qui rappelle le titre L’homme sans qualité de Robert Muzil (Muzil 1979). La lucidité intellectuelle et la spéculation philosophique n’ont plus cours quand il s’agit de vivre cette expérience comme une fatalité inéluctable :

[M]aintenant qu’il connaissait cette douleur Muzil la craignait par-dessus tout, ça se lisait désormais dans son œil de panique d’une souffrance qui n’est plus maîtrisée à l’intérieur du corps mais provoquée artificiellement par une intervention extérieure au foyer du mal sous prétexte de le juguler […]. (Guibert 1990, 96)

Par ailleurs, le calvaire et la souffrance de Muzil pendant les jours qui précèdent son décès sont décrit en invoquant le mythe de la passion christique. Le corps de Muzil dont la description ne manque pas de souligner la beauté « Il faisait un temps splendide, Muzil était torse nu, je découvrais un corps magnifique, parfaitement musclé, dédié et puissant […]. » (Guibert 1990, 93), est stigmatisé suite à la ponction cervicale qui représente métaphoriquement la profanation de sa pensée philosophique :

Le surlendemain, dans le couloir, j’aperçus Muzil derrière la vitre, les yeux clos dans son drap blanc, on lui avait fait une ponction cervicale, il y avait la marque du trou sur son front. La veille il m’avait demandé la permission de fermer les yeux […], [il] avait seulement dit, comme un sphinx : ‘’Tout redémarrera en 86 après les législatives.’’ Une infirmière me rattrapa dans le couloir et me dit que je n’avais pas le droit d’être là sans autorisation préalable, […] on craignait qu’un charognard prenne la photo de Muzil. (Guibert 1990, 105)

La narration de la séropositivité de Foucault et de son agonie entraîne un sentiment confus de trahison et de la nécessité de relater cette souffrance afin de se libérer des angoisses alimentées par la similitude du sort avec le mourant. L’écriture est vécue comme une réaffirmation d’un acte parricide de la part de l’auteur-narrateur qui endosse la figure de Judas. Lors d’une visite à l’hôpital, le narrateur embrasse la main de Foucault. Cet acte d’allégeance n’est qu’apparent car il considère ce corps somme source de contamination :

Le lendemain j’étais seul dans la chambre avec Muzil, je pris longuement sa main […]. Puis j’appliquai mes lèvres sur sa main pour la baiser. En rentrant chez moi, je savonnai ces lèvres, avec honte et soulagement, comme si elles avaient été contaminées […]. (Guibert 1990, 101)

Nous pouvons percevoir dans cet acte une allusion à la trahison, par l’écriture de ce récit, et la révélation au grand public du secret de la maladie de Foucault. Loin de garder une fidélité monacale à cette confrérie de séropositifs, le narrateur dévoile la maladie et l’agonie de cette personne illustre.

II- Mort et atmosphère concentrationnaire

2- Les revenants d’Auschwitz

La maladie de Muzil constitue, en outre, une découverte du milieu médical dans lequel les personnes séropositives sont implicitement assimilées aux déportés d’Auschwitz. Guibert dénonce un parti pris pseudo-moral de la société qui stigmatise les malades du sida : « Les autorités bavaroises recommandaient de tatouer un sigle bleu sur les fesses des personnes infectées. » (Guibert 1990, 160) Le combat contre le sida est perçu comme une guerre perdue d’avance, mais que le narrateur doit poursuivre jusqu’au bout de ses forces mentales et physiques. Guibert écrit dans Cytomégalovirus : « Ce journal-là devrait aussi être un journal de guerre. » (Guibert 1992, 18) Il procède, suite à la découverte de sa séropositivité, par une description analytique du tableau d’Antonio Mancini intitulé Après le duel[5] qui réactive un processus d’empathie esthétique, ou ce que Vischer appelle einfühling, augmentée par une identification à l’expérience du jeune homme représenté dans le tableau. Dans un autre passage, le narrateur compare des flacons d’AZT utilisés dans le traitement du sida, à des minutions : « Depuis que je détenais ces munitions, […]la question était de savoir à quelle posologie je devais commencer le traitement. » (Guibert 1990, 228) Les récits de Guibert ne dissocient pas la correspondance entre souffrance psychique et corporelle causés par la maladie et chaos extérieur observé dans le milieu médical. Le narrateur mène la fronde contre le corps médical qui déshumanise les personnes séropositives considérées comme une engeance atteinte d’une maladie inconnue, « un cancer qui touchait exclusivement les homosexuels. » (Guibert 1990, 21) Cela confirme le parti pris de Muzil quant au rapport du patient avec le milieu médical :  

Muzil passa une matinée à l’hôpital pour faire des examens, il me raconta à quel point le corps, il l’avait oublié, lancé dans des circuits médicaux, perd toute identité, ne reste plus qu’un paquet de chair involontaire […][6]. (Guibert 1990, 32)

Comme dans Si c’est un homme de Primo Levi, (Levi 1988) l’écriture de la souffrance causée par le mépris et la maltraitance devient une stratégie de survie et de résilience dans ce milieu médical comparé au camp d’Auschwitz : « Faire de la torture mentale (la situation dans laquelle je me trouve par exemple) un sujet d’étude, pour ne pas dire une œuvre, rend la torture un peu plus supportable. » (Guibert 1991, 54) Le récit dépasse sa dimension autobiographique pour devenir une narration d’un traumatisme collectif vécu par les personnes atteintes dans lequel les infirmiers deviennent des bourreaux cyniques semblables aux agents de la Schutzstaffel dans le camp d’Auschwitz :

À l’intérieur de la chambre de réanimation c’était un bordel incroyable, un nègre houspillait la sœur de Muzil parce qu’elle lui avait rapporté en cachette des nourritures, il jetait par terre ses petits pots de flan à la vanille en disant que c’était interdit […]. Il dit qu’on n’était pas dans une bibliothèque, il attrapa les deux livres de Muzil […] et décréta que même ça on n’en voulait pas ici, qu’il fallait uniquement le corps du malade et les instruments pour les soins. Dans un regard Muzil me pria de ne rien dire, et de sortir, moralement aussi il souffrait atrocement. (Guibert 1990, 103)

Considérés comme porteur de fléau, les séropositifs sont marginalisés. Dans cette incompréhension totale de la maladie et de ses causes, les autorités sanitaires cherchent à limiter le contact des personnes atteintes avec les autres saines et leur consacre un pavillon dans un hôpital délabré qui accentue le sentiment d’exclusion et l’atmosphère du macabre : « […] L’hôpital Claude-Bernard, datant des années 20 et devenu insalubre, avait été déménagé dans des locaux neufs à l’exception du pavillon Chantemesse, […] bâtiment exclusivement affecté aux malades du sida […]. » (Guibert 1990, 51) Le milieu médical est la cause d’un clivage entre la psyché et le corps (Brun 2013, 100), d’une aliénation vécue au quotidien par le narrateur guibertien face au miroir :

Il n’y avait pas un jour où je ne découvrais une nouvelle ligne inquiétante, une nouvelle absence de chair sur la charpente […]. La peau refluait en arrière de l’os, il la poussait. […] Je ne peux pas dire non plus que j’avais de la pitié pour ce type, ça dépend des jours, parfois j’ai l’impression qu’il va s’en sortir puisque des gens sont bien revenus d’Auschwitz, d’autres fois il est clair qu’il est condamné, en route vers la tombe, inéluctablement. (Guibert 1991, 18-19)

2- L’écriture du suicide

Comme seule alternative de résilience, l’écriture corrobore à s’opposer à une dégradation journalière du corps malade et à sa chosification en devenant un objet des tests médicaux. Elle permet de découvrir les ravages du virus sur un corps famélique. Paradoxalement, l’écriture semble retracer un long cheminement douloureux perçu comme un préliminaire du suicide. Celui-ci devient une affirmation de toute-puissance et revendication d’une mort fantasmée et esthétisée. Dans La Mort propagande, Guibert affirme vouloir « [se] donner la mort sur scène, devant les caméras. Donner ce spectacle extrême, excessif de [son] corps, dans [sa] mort. » (Guibert 1977, 184) La seule emprise du narrateur sur la dégénérescence de son corps se laisse percevoir par le long passage digressif dans lequel il se livre à une analyse détachée des effets des médicaments sur son sang vicié par le virus du sida :

Les dernières analyses, datées du 18 novembre, me donnent 368 T4, un homme en bonne santé en possède entre 500 et 2000. Les T4 sont cette partie des leucocytes que le virus du sida attaque en premier, affaiblissant progressivement les défenses immunitaires. […] Avant l’apparition du sida, un inventeur de jeux électroniques avait dessiné la progression du sida dans le sang. Sur l’écran du jeu d’adolescents, le sang était un labyrinthe dans lequel circulait le Pacman, un shadok jeune actionné par une manette, qui bouffait tout sur son passage, vidant de leur plancton les différents couloirs, menacés en même temps par l’apparition proliférante de shadoks rouges encore plus gloutons. (Guibert 1990, 13)

L’écriture se veut dès lors un acte vampire et une volonté de se débarrasser symboliquement de la maladie qui coule dans les veines du narrateur en se vidant du sang contaminé qui le dépouille de ses forces vitales. Hervé Guibert déclare dans un entretien à propos de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie : « Raconter le processus de détérioration de son sang va au-delà de parler de son corps intime, c’est parler de l’intérieur de son corps. C’est un livre plus impudique que tous mes livres dits érotiques. » (Guibert et De Gaudemar 1990, 21) L’écriture est un acte d’ajournement d’un suicide toujours différé afin de pouvoir terminer un livre dont la fin annonce la mort : « Oui, je peux l’écrire, et c’est sans doute cela ma folie, je tiens à mon livre plus qu’à ma vie ; je ne renoncerais pas à mon livre pour conserver ma vie, voilà ce qui sera le plus difficile à faire croire et comprendre. » (Guibert 1990, 257)

          La recherche du sens par l’écriture explique le choix d’Hervé Guibert pour le genre autobiographique comme genre propice à la mise en ordre des chaos de la vie renforcée par la maladie et la mort. Comme le rappelle Jean-Bertrand Pontalis, l’écriture autobiographique revêt une fonction nécrophile qui permet d’anticiper la disparition et elle s’apparente à une plaidoirie posthume. (Matthieu-Castellani 1996) Le récit autobiographique « apparaît souvent comme une nécrologie anticipée, comme le geste ultime d’appropriation de soi et par là peut-être comme un moyen de discréditer ce que les survivants penseront et diront de vous, de conjurer le risque qu’ils n’en pensent rien. » (Pontalis 1988, 51) La trame narrative a pour fil conducteur la mort qui vient condenser non seulement l’appréhension chronologique de l’existence dans la mesure où le temps de l’écriture ne dépassera guère l’espérance de vie de la personne séropositive, en l’occurrence les deux ans, mais aussi la perception du corps dont la dégradation et la dégénérescence accélère le processus de vieillissement. L’auteur se compare dès lors à son entourage constitué de vielles personnes et sous-entend ainsi une rupture dans la généalogie familiale en en devenant le dernier maillon rompu par la maladie et la mort :

Un corps de vieillard avait pris possession de mon corps d’homme de trente-cinq ans, il était probable que dans la déperdition de mes forces j’avais largement dépassé mon père qui vient d’en avoir soixante-dix, j’ai quatre-vingt-quinze ans, comme ma grand-tante qui est impotente. (Guibert 1991, 12)  

L’écriture chez Guibert n’est pas une volonté d’expliquer une causalité de sa maladie, mais plutôt une recherche d’un sens à un désarroi chaotique causé par le sida. C’est ce qui explique l’évocation avec détachement déconcertant dans Le Mausolée des amants de ces aventures homosexuelles et au rapport clivé avec la mort. C’est comme si l’auteur jetait, à travers l’écriture, un regard rétrospectif d’outre-tombe : « Quand il m’arrive de relire ce journal, j’ai déjà une impression posthume. » (Guibert 2001, 86) Cette perception du temps, de la vie en sursis alimente une conception instantanée du vécu par l’écriture autobiographique dont le revers est un sentiment profond de mort ou plus précisément de mort-vivant, une existence en négatif, en spectre autobiographique similaires aux séquences fragmentaires et silencieuses dans le film La Pudeur ou l’impudeur. Au-delà d’une écriture de la maladie qui paraît, du prime abord, une glorification d’une vie menacée par la mort, les récits de Guibert font l’éloge du suicide comme acte d’affirmation de la volonté et de la liberté de l’homme car elle forme une possibilité d’une autre alternative que celle de la peur. Dans cette perspective, cette conception du suicide foncièrement affranchissant est partagée par Blanchot qui écrit : « La mort près de soi, docile et sûre, rend la vie possible, car elle est justement ce qui donne air, espace, mouvement joyeux et léger : elle est la possibilité. » (Blanchot 1988, 119) Le premier récit de la trilogie devient un compte à rebours d’une vie condensée comme le révèle la dernière phrase du livre : « J’ai enfin retrouvé mes jambes et mes bras d’enfant. » (Guibert 1990, 267) Le corps acquiert un aspect sacrificiel par une écriture qui forme une déclinaison esthétisée du suicide qui hante l’auteur :

[E]lle m’interpella de l’autre bout du magasin, d’un air triomphal : ‘’Elle est arrivée la Digitaline !’’ De ma vie jamais aucun commerçant ne m’a rien vendu avec autant de jubilation. La pharmacienne enveloppa le produit dans un petit morceau de papier kraft, ma mort coûtait moins de dix francs. Elle me souhaita une bonne journée d’un air radieux et solennel, comme si elle eût été une employée d’une agence de voyages qui venait de me vendre un tour du monde, et me souhaitait bon vent. (Guibert 1990, 244)

III- Écriture de la survivance

1- Écriture comme exorcisme de la mort

L’écriture de chaque œuvre de la trilogie du sida s’inscrit dans la logique du défi de la mort et redéfinit le rapport entre le narrateur et son corps. Comme dans le film documentaire La Pudeur ou l’impudeur, le narration guibertienne se veut un assainissement du corps animé par un sang vicié. La purification se laisse percevoir par le plaisir procuré par les exercices physiques dans Le Protocole compassionnel. L’écriture devient une trace concrète de la survie de ce corps moribond qui laisse ses empreintes scripturales au-delà de sa disparition. Si l’écriture autobiographique est étroitement liée au topos de la chute comme chez Montaigne ou Rousseau, il nous semble que chez Guibert la maladie ouvre un abîme qui remonte à la prime enfance de l’auteur comme il le rapporte dans Le Mausolée des amants quand il se rappelle du récit de sa mère le décrivant l’instant de sa naissance : « Puis je t’ai vu, dit-elle, tout petit et nu, misérable, posé sur une table, et j’ai hurlé : ‘’Attention ! Il va tomber ! …’’.» (Guibert 2001, 54) Par ailleurs, les récits d’Hervé Guibert procèdent par une logique du détournement de cette scène qui hante l’auteur-narrateur en l’inscrivant dans un héritage littéraire. Dans le premier récit de la trilogie, en l’occurrence À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Guibert parsème la narration de plusieurs évocations intertextuelles des œuvres de Thomas Bernhard. Le récit se veut, outre une lutte contre le sida, une volonté d’apprivoiser une écriture qui cherche à rivaliser avec le style de l’auteur autrichien également connu par ses œuvres relatant son long combat contre une maladie pulmonaire : « [E]t moi, pauvre Guibert, je jouais de plus belle, je fourbissais mes armes pour égaler le maître contemporain, moi pauvre petit Guibert, ex-maître du monde qui avait trouvé plus fort que lui et avec le sida et avec Thomas Bernard. » (Guibert 1990, 216) Il s’agit dès lors de mener une double lutte avec la nécessité de la maintenir jusqu’à la fin. Parallèlement à sa fonction cathartique de la peur de la mort, l’écriture est un défi stylistique qui déploie toutes ses prouesses pour aboutir à un livre achevé, à une œuvre dans le sens plein du terme. Ainsi, la chute ne se limite pas à une hantise de la mort ; elle est aussi un pan qui risque de s’ouvrir et qui menace l’achèvement de l’œuvre qui se veut égale à celle de Thomas Bernhard. D’où le recours à un autre intertexte, celui de Kafka quand Guibert parodie la célèbre scène le La Métamorphose (Kafka 2016) pour décrire sa lutte contre la mort : « Je suis un scarabée retourné sur sa carapace et qui se démène pour se remettre sur ses pattes. Je lutte. Mon Dieu, que cette lutte est belle. » (Guibert 1991, 175) L’écriture permet alors de se libérer de la mort en l’anticipant et en l’exorcisant par une sorte de lutte lucide comme le rappelle Maurice Blanchot : « L’écrivain est […] celui qui écrit pour pouvoir mourir et il est celui qui tient ce pouvoir d’écrire d’une relation anticipée avec la mort. » (Blanchot 1988, 114) L’écriture devient pour l’auteur « la seule façon d’oublier » (Guibert 1991, 54) et de vivre l’épreuve de la mort pour en revenir riche d’une sagesse implacable : « J’étais de nouveau vivant. J’écrivais de nouveau. » (Guibert 1991, 64) car comme le montre Blanchot : « Le génie affronte la mort, l’œuvre est la mort rendue vaine ou transfigurée […]. » (Blanchot 1988, 115)

2- Un échange cannibale

L’image d’un entourage constitué de personnes cannibales et plus particulièrement du corps médical comme des vampires est partagée par le narrateur guibertien lui-même. La survivance implique un acte vampirique pour revigorer un corps décharné :

Je manque tellement de chair sur mes propres os […] que je deviendrais volontiers cannibale. Quand je vois le beau corps dénudé, charnu d’un ouvrier sur un chantier, je n’aurais pas seulement envie de le lécher, mais de mordre, de bouffer, de croquer, de mastiquer, d’avaler. […] Je voudrais manger la chair crue et vivante, chaude, douce et infecte.  (Guibert 1991, 106)

L’écriture ne se limite pas à une volonté d’exorciser la mort à travers la confession autobiographique, elle est aussi une invocation, à travers les métalepses et les adresses directes, de la connivence avec le lecteur. Par ailleurs, le lien du narrateur avec celui-ci semble affecté et actualisé par le rapport avec la maladie. En effet, dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, l’auteur-narrateur reproche au lecteur un certain voyeurisme : « Est-ce que vous supportez un récit avec autant de sang ? Est-ce que ça vous excite ? » (Guibert 1990, 123) Il pointe du doigt une jouissance chez le lecteur nourrie par le spectacle morbide que celui-ci découvre lors de la lecture. Paradoxalement, cette même lecture maintient un acte de vampirisme dans la mesure où le narrateur garde la vie en se nourrissant, métaphoriquement, du sang du lecteur : « J’aime que ça passe le plus directement possible entre ma pensée et la vôtre, que le style n’empêche pas la transfusion. » (Guibert 1991, 123) L’auteur est dès lors transfusé par le sang du lecteur qui est touché par la forte charge pathémique du discours et il devient ainsi un alter égo en négatif du narrateur. L’écriture progresse en alimentant la tension entre les attributs antinomiques de l’auteur-narrateur et ceux du lecteur ; plaisir de lecture contre douleur et souffrance de la maladie, vigueur corporelle et intelligence acérée contre faiblesse et aveuglement causés par la maladie, délivrance suite à la lecture et agrippement à l’écriture comme une seule possibilité de survie :

C’est mon âme que je dissèque…Sur elle, je fais toutes sortes d’examens, des clichés en coupe, des investigations par résonnance magnétiques, des endoscopies, des radioscopies et des scanners, dont je vous livre les clichés, afin que vous les déchiffriez sur la plaque lumineuse de votre sensibilité. (Guibert 1991, 80-81)

Guibert révèle comment le succès de son premier livre consacré au sida lui a permis de confronter la maladie. Il affirme avoir porté ce livre « en lui comme un talisman [qui] protégeait de la mort, qui l’exorcisait » (Guibert 1991, 141) La dédicace de son livre Le Protocole compassionnel : « Chacune de vos lettres m’a bouleversé » (Guibert 1991)  montre bien l’enjeu d’une écriture qui cherche à se libérer de la souffrance et apprivoiser la mort en partageant son expérience avec les lecteurs : « En fait, j’ai écrit une lettre qui a été directement été faxée dans le cœur de cent mille personnes, c’est extraordinaire. Je suis en train de leur écrire une nouvelle lettre. Je vous écris. » (Guibert 1991)

 

L’un des motifs essentiels de l’écriture autobiographique réside dans sa fonction cathartique de l’angoisse de la mort. Héritiers d’une riche histoire littéraire traitant ce rapport entre écriture de la survivance et affres de la disparition, les récits contemporains conçoivent la narration des expériences traumatisantes de la mort comme une conjuration d’une fin inéluctable. Il semble que la fascination de la mort comme une épreuve infaillible est la source même de la production littéraire et artistique ; une ultime possibilité d’anticiper cet instant fatidique comme le montre Tolstoï dans La Mort d’Ivan Ilitch (Tolstoï 1997) qui a fait de l’agonie de son héros la suprême expérience de lucidité et de sagesse jamais vécue. Dans ce même ordre d’idées, Maurice Blanchot affirme :

L’homme meurt, cela n’est rien, mais l’homme est à partir de sa mort, il se lie fortement à sa mort, par un lien dont il est juge, il fait sa mort, il se fait mortel et, par-là, se donne le pouvoir de faire et donne à ce qu’il fait son sens et sa vérité. La décision d’être sans être est cette possibilité même de la mort. (Blanchot 1988, 118)

L’écriture de la mort dans les œuvres contemporaines n’est pas seulement une expérience personnelle. Elle est aussi une tentative de surmonter le deuil des personnes disparues comme dans certaines œuvres autobiographiques de Philippe Forest (Forest 1998) ou d’Emmanuel Carrère (Carrère 2010). Précurseur dans l’écriture autobiographique contemporaine dans son rapport avec la mort, La Mort propagande d’Hervé Guibert montre la fascination que cette thématique exerçait sur l’auteur même avent la découverte de sa séropositivité. Aussi, la mort revêt chez cet auteur une possibilité d’une écriture de l’extrême et répond au questionnement d’Antonin Artaud qui écrit dans L’art et la mort : « Qui, au sein de certaines angoisses, au fond de quelques rêves n’a connu la mort comme une sensation brisante et merveilleuse avec quoi rien ne se peut confondre dans l’ordre de l’esprit ?» (Artaud 1984, 123) Par ailleurs, cette fascination de la mort, même avant la découverte de sa séropositivité, rend l’aura du jeune Hervé Guibert plus éblouissant dans l’imaginaire du lectorat. S’inscrivant dans une longue liste des mythes littéraires allant de Rimbaud à Kafka en passant par Jarry et Radiguet, Guibert confirme encore une fois que la vie des prodiges littéraires ne se mesure pas à leur longévité mais à l’aune de leur survivance, par le biais de leurs œuvres, dans l’imaginaire du lectorat. Que serait le nom Hervé Guibert si l’auteur ne léguait pas à ses lecteurs ces merveilleuses œuvres littéraires et artistiques ? Ephémère épitaphe gravée sur un tombeau du cimetière de Rio nell’Elba.   

Références bibliographiques

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Bataille, Georges, Les larmes d’Éros, [1961], Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1978.

Blanchot, Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1988.

Bouraoui, Nina, Satisfaction, Paris, JC Lattès, 2021.

Brun, Anne, « La mort à l’œuvre dans les écrits d’Hervé Guibert », In Psychothérapies, Vol.33, Médecine et hygiène, février 22013.

Carrère, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2010.

Chéreau, Patrice et Guibert, Hervé, L’homme blessé, Paris, Éditions du Minuit, 1983.

De Ceccatty, René, « Un prénom, quelques amis », dans Hervé Guibert, La Revue littéraire, N°51, Éditions Léo Scheer, décembre 2012, p.15-20.

Didi-Huberman, Georges, L’image survivante, Paris, Éditions du Minuit, coll. « Paradoxes », 2002.

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Guibert, Hervé, La Mort propagande, [1977], Paris, Régine Deforges, 1991.

Guibert, Hervé, Fou de Vincent, Paris, Les Éditions du Minuit, 1989.

Guibert, Hervé, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1990.

Guibert, Hervé, Entretien avec Antoine de Gaudemar, « La vie sida », In Libération,1er mars, 1990. p. 19-21.

Guibert, Hervé, Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1991.

Guibert, Hervé, Cytomégalovirus : journal d’hospitalisation, Paris, Seuil, 1992.

Guibert, Hervé, Le Mausolée des amants. Journal 1976-1991, Paris, Gallimard, coll. « N.R.F », 2001.

Kafka, Franz, La Métamorphose, [1915], Paris, Garnier Flammarion, coll. « G.F », 2016.

Laplanche, Jean et Pontalis, Jean-Bertrand, Vocabulaire de la psychanalyse, [1967], Paris, Presses Universitaires de France, 2007.

Levi, Primo, Si c’est un homme, [1947], Paris, Pocket, 1988.

Matthieu-Castellani, Gisèle, La scène judiciaire de l’autobiographie, Paris, P.U.F, coll. « Écriture », 1996.

Muzil, Robert, L’homme sans qualité, [1930], Paris, Seuil, coll. « Le Don des Langues », 1979.

Nietzsche, Friedrich, La Naissance de la tragédie, [1872], Paris, Flammarion, coll. « G.F », 2015.

Pontalis, Jean-Bertrand, « Derniers premiers mots », In L’autobiographie, Paris, Les Belles Lettres, 1988, p.49-66.

Riboulet, Mathieu, L’Amant des morts, Lagrasse, Verdier, 2008.

Tolstoï, Léon, La Mort d’Ivan Ilitch, [1886], Paris, Gallimard, coll. « Folio-Classiques », 1997.

[1] Ce livre est une réécriture d’un scénario d’un film qui porte le même nom. Ce scénario a été couronné au Festival de Cannes en 1983. Hervé Guibert évoque la scène de la réception du prix dans le 27ème chapitre de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.

[2] La Pudeur ou l’impudeur est un film documentaire réalisé par Hervé Guibert. L’auteur a fait lui-même le tournage en se filmant durant la période entre juin 1990 et mars 1991. Il est diffusé, suite au décès de l’écrivain, sur TF1 le 30 janvier 1992.

[3]Hervé Guibert était l’invité de l’émission Apostrophes le 16-02-1990 à l’occasion de l’apparition de son livre À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. [En ligne] : https://madelen.ina.fr/collection/bouillon-de-culture

[4] Dans Les Larmes d’Éros, Georges Bataille écrit à propos du rapport entre l’érotisme, la mort et le péché : « S’il est vrai qu’essentiellement « diabolique » signifie la coïncidence de la mort et de l’érotisme, pourrions-nous manquer, si le diable n’est à la fin que notre folie, si nous pleurons, si de longs sanglots nous déchirent- ou bien si le fou rire nous prend-, pourrions-nous manquer d’apercevoir, liée à l’érotisme naissant, la préoccupation, la hantise de la mort […] », (Bataille 1978, 58).

[5] Antonio Mancini, Après le duel, [105 cm x 162 cm] 1872, Galeria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea, Turin.

[6]Rappelons à ce propos que Michel Foucault considère le milieu médical comme une institution qui défend un bio-pouvoir. Comme les écoles ou les prisons, les hôpitaux assoient une ascendance politique sur l’individu. ( Foucault 1963 et 1975).

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